Savourer son café du matin, ce peut être pour son goût, ce peut être pour l’énergie qu’il apporte, ce peut être aussi car on sait que l’emballage et les grains moulus ne deviendront pas des déchets. La capsule en aluminium sera recyclée, peut-être pour accueillir un prochain café, et le marc sera transformé en biocarburant. Accepter de payer un peu plus pour ce café et en faire de même pour d’autres produits s’ils s’inscrivent dans l’économie circulaire, beaucoup de consommateurs y semblent aujourd’hui prêts.
Les déchets sont à l’origine de la plupart des problèmes environnementaux, réchauffement climatique, pollution et perte de la biodiversité et de plus en plus de personnes en sont conscientes. Nombreux tentent alors de se passer des produits dont le modèle économique se base sur le schéma « extraire, fabriquer, consommer, jeter ».
Néanmoins selon le rapport Global Circularity Gap 2023, seuls 7,2 % des matériaux sont réinjectés dans l’économie à la fin de leur cycle de vie. Cela signifie que plus de 90 % des matériaux finissent par devenir des déchets et ne peuvent plus être réutilisés. Nous sommes encore loin de la circularité.
Au sein d’un travail de recherche récent, mené avec Stefan Buehler, de l’université de Saint-Gall, et Rachel Chen de l’université de Californie à Davis, nous avons donc tenté de comprendre les rouages des modèles économiques circulaires afin d’élaborer des stratégies pour renforcer la circularité. Il s’agissait notamment d’identifier les conditions qui rendent la transition d’un modèle économique linéaire à un modèle circulaire à la fois rentable et socialement souhaitable.
Boucler la boucle
Comment les entreprises peuvent-elles tirer profit de l’économie circulaire ? Contrairement au modèle économique linéaire, qui s’arrête au point de vente, le modèle circulaire s’appuie sur 3 piliers : réduire, c’est-à-dire optimiser les produits en vue de leur recyclage en limitant les déchets ; réutiliser, c’est-à-dire récupérer les produits en fin de vie grâce à un processus de logistique inverse ; recycler, c’est-à-dire transformer les produits récupérés en matières premières.
Pour passer à l’économie circulaire, une entreprise doit donc revoir sa façon de concevoir ses produits et mettre en place une chaîne logistique inverse pour récupérer les produits en fin de vie. Pour que la boucle soit bouclée, il faut aussi que les consommateurs acceptent de restituer les produits pour qu’ils soient recyclés. La clé de l’économie circulaire réside en effet dans l’interaction entre les décisions des entreprises en matière de conception des produits, et celles des consommateurs pour leur mise au rebut en vue de leur recyclage.
L’approche circulaire offre aussi aux entreprises une nouvelle source de revenus potentielle. Récupérer et recycler les ressources contenues dans les produits en fin de vie réduit le coût unitaire, celui de l’aluminium de ma capsule de café par exemple. En outre, cette pratique peut justifier l’application d’un tarif supérieur, la fameuse "prime verte", pour les produits plus faciles à recycler.
Comment alors trouver un équilibre entre la recyclabilité et prix plus élevé ? Nous avons intégré cet aspect aux décisions d’achat des consommateurs. Notre modèle intègre des questions telles que la fin de vie d’un produit, la facilité et le coût de recyclage ainsi que le sentiment de culpabilité associé au non-recyclage. Nous avons également tenu compte de l’impact de la réutilisation des ressources contenues dans les produits sur leur conception, sur les bénéfices et sur l’empreinte écologique globale de l’entreprise.
Convaincre les consommateurs
Il est étonnant de constater que le passage à l’économie circulaire ne réduit pas toujours l’empreinte écologique globale de l’entreprise. Cela s’explique par un effet de rebond : même si l’empreinte de chaque café est plus faible dans le modèle circulaire, la baisse des déchets est parfois plus que compensée par l’augmentation des ventes des produits plus écologiques, si bien que l’empreinte globale du producteur de café est supérieure.
Notre analyse montre de plus qu’il est difficile pour une entreprise de parvenir à une circularité totale. Je prépare mon café avec une capsule qui a été spécialement conçue pour être recyclée, et je compte faire en sorte qu’elle le soit. Mais pour que le produit soit véritablement circulaire, il faut que tous les consommateurs fassent de même.
Pour que la circularité soit intéressante, les consommateurs doivent être convaincus de l’importance du recyclage et de la réutilisation des ressources contenues dans les produits en fin de vie, et la logistique inverse ne doit pas être trop onéreuse. On constate que plus le recyclage est facile, plus les consommateurs se prêtent au jeu.
Rester rentable
Le système de consigne (l’entreprise rend une partie du prix d’achat quand le lecteur ramène le produit à recycler) semble ainsi augmenter la recyclabilité mais pas nécessairement les bénéfices : le nombre de consommateurs supplémentaires qui recyclent le produit n’est pas toujours suffisant pour compenser le coût de la consigne. Le constat est le même avec le rachat, c’est-à-dire lorsque l’entreprise rachète les produits en fin de vie à ses clients pour les réutiliser et les recycler.
Il semble, pour l’entreprise, qu’il vaille mieux, en général rester propriétaire, en louant le produit à court ou à long terme. Ainsi, tous les produits sont récupérés, et la rentabilité et la recyclabilité s’en trouvent accrues.
Il y a par ailleurs de fortes chances que le modèle économique circulaire s’avère plus rentable à l’avenir. Les politiques gouvernementales vont dans le sens de la réduction des déchets, ce qui rend les entreprises moins enclines à proposer des produits non recyclables. Qui plus est, avec l’augmentation du prix des matières premières, la récupération et le recyclage des ressources contenues dans les produits en fin de vie deviennent de plus en plus intéressants. Grâce au progrès technologique, enfin, le coût de la mise en place d’une logistique inverse devrait baisser, tout comme le coût de fabrication de produits recyclables.
Cette étude invite ainsi à mettre en œuvre des politiques qui pénalisent financièrement les entreprises linéaires, par exemple en taxant les déchets. D’autres mesures, comme une meilleure sensibilisation des consommateurs ou une diminution du coût de la logistique inverse, en facilitant l’accès pour les consommateurs ou en mettant en place un service de collecte, aideront à la fois les entreprises et les consommateurs à réduire leurs déchets et leur consommation de ressources.
Daniel Halbheer, Professeur Associé, HEC Paris Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.